Tu te définis comme " egographe ". Ca veut dire quoi ?
C'est un néologisme que j'avais inventé pour ma première carte de visite, par rébellion contre le terme de " photographe ". Je ne photographie pas la réalité, je l'interprète. Par exemple : les gens que je prends en photo sont toujours beaux ! Il faut qu'ils s'aiment et se reconnaissent dans mes images. Comment fais-tu pour rendre beaux tes modèles ? Je les laisse poser très longtemps devant l'objectif : ils doivent rester immobiles entre une et quarante-cinq minutes, dans le noir total. Pendant ce temps d'exposition, je fais péter un vrai feux d'artifice autour d'eux :j©ˆenvois de partout des flashs de lumière colorées. Il y en a parfois une centaine sur une image ! Après, j'ajoute un max de filtres de couleur. Le résultat est assez psychédélique.
C'est une technique unique au monde, non ?
J'appelle ça " peinture de lumière " et je l'ai empruntée à un copain de Grenoble - Philippe Tripier - en lui disant " Là, mon pote, désolé, mais je vais te piquer ta technique : elle m'ouvre toutes les portes de la photographie ". Ceci dit, Picasso aurait réalisé un dessin à l'aide d'une source lumineuse avec un temps de pose assez long. D'où mon absence de scrupule : j'ai volé une idée à un ami qui n'en avait pas la paternité. D'autres photographes l'ont reprises de façon ponctuelle : Michel Semeniako et Xavier Lambours (agence Métis) entre autres. Mais c'est un procédé très difficile à maîtriser, alors les gens l'abandonnent vite. Je suis le seul à l'utiliser depuis si longtemps : 8 ans !
Qui sont tes modèles ?
Mes conditions de pose sont éprouvantes : rester immobile longtemps, rester expressif malgré le déluge de projections lumineuses. C'est un sacré challenge. Ceux qui s'en sortent le moins bien sont les modèles professionnels, trop habitués aux poses mode, incapables de rester naturels. Je préfère les performers et autres freaks : ils sont tellement habitués à montrer leur corps ! C'est leur vitrine, la marque de leur ego et de leurs fantasmes. Quand ils arrivent, les images s'imposent d'elles-même, je n'ai qu'à cadrer et éclairer.
On te désigne comme le photographe des cyberpunks toxicomanes, des marginaux et des fétichistes. C'est vrai ?
Rajoute drag-queens, tatoués hard, déviants sado-maso et lesbiennes déjantés, tu auras une liste complète de mes amis ! J'ai rencontré toute cette jungle technoïsante et sexocrate à l'occasion d'un festival à Nantes appelé " Bite Génération ". Actuellement, je me hasarde dans les méandres du porno, pour en rajouter une couche ! Ca ne te fait pas peur d'avoir de telles fréquentations ? Non. Les plus extrêmes de mes " fréquentations " sont également les plus sains, les plus sages, ultra-conscients du danger qu'ils représentent pour eux-mêmes et pour les autres (sida, apologie des drogues entre autres). Je leur fais plus confiance qu'à n'importe quel avocat de bon ton, qu'à n'importe quel notaire de province.
Quelles sont tes expériences les plus folles dans l'univers des freaks ?
Depuis 95, je suis associé à Body Art, un studio de piercing, branding (marquage au fer rouge) et scarification lancé par Lukas et Ann Zspira : nous essayons d'esthétiser l'image des modifications corporelles. Avec eux, j'ai pris des photos d'un jeu de fléchettes avec sarbacane, aiguilles de piercing et fesses humaines comme cible ! J'ai aussi photographié des suspensions : les modèles s'enfoncent des crocs de boucher dans la peau du dos ou de la poitrine et s'élèvent dans les airs, suspendus à ces crochets par la seule résistance de la peau !
Quel est ton idéal de femme ?
J'aime les filles sculpturales, les belles rondeurs ou les natures frêles, peu importe. Seule la vulgarité m'indispose.
Quel est ton idéal d'homme ?
L'homo mélancolique, vulnérable. Je trouve les gays bien plus photogéniques que les hétéros !
Quel est ton idéal de mutant ?
Je ne fantasme pas trop sur les freaks. Je suis à peine percé. Mais J'admire ceux qui vont jusqu'au bout.
Tes projets ?
Je vais bientôt photographier une personne dont le sexe est orné de tellement d'anneaux qu'il en est probablement le recordman mondial : cet homme était passionné de chevaux, mais depuis 4 ans il s'occupe de son sexe uniquement. Il le crucifie littéralement (au bout de 15 piercings sur la bite, ça devient difficile de faire l'amour, ndlr). J'aime les visions christiques des suspensions et l'engagement total que cela demande.
Anna Mori le 16 mai 2002